On peut considérer qu’elle fut le premier deux temps japonais de grosse cylindrée et elle aussi a fêté l’an dernier son anniversaire : la Suzuki T 500 a eu cinquante ans, une carrière assez longue, un beau succès commercial et pourtant, n’a pas marqué durablement les esprits comme d’autres modèles ont pu le faire. Que cet anniversaire nous serve de prétexte pour revenir sur cette injustice.

La réalité dépasse la fiction car l’histoire de cette machine débute, façon roman d’espionnage (ce dont il s’agit, en réalité), sur fond d’agents doubles, de guerre froide, de rideau de fer, de disparitions troubles. Ce n’est un secret pour personne : dans les années 50 (et bien avant), les Pays de l’Est (que ce soient les tchèques de CZ ou Jawa) ou les allemands de MZ sont de fins techniciens et leurs machines sont parmi les plus abouties du moment. Mais hélas, la guerre froide et le Mur de l’Est vont cantonner ces expertises à ne plus pouvoir s’exprimer à l’étranger, de peur pour les agents communistes que pilotes et ingénieurs fassent défection. C’est pourtant ce qui se passe en 1961 quand Ernst Degner, pilote de MZ, ne rentra pas au bercail après le GP de Suède, après s’être assuré que sa famille était bien passée à l’Ouest.

Pourquoi on vous raconte cela ? Parce que Degner était bien informé des travaux d’un autre allemand, Walter Kaden (inventeur du pot de détente, cet artifice qui permet de faire passer un moteur 2-temps d’un brave tâcheron à une pure meule de course), et surtout parce qu’il rejoint ensuite les rangs de Suzuki. Ce qui suit ne doit rien à aucune forme de coïncidence : Suzuki remporte le titre de GP 50 en 1962. 


Une vraie expertise du 2-temps

La maîtrise de cette technologie, Suzuki en fait bénéficier ses clients avec la gamme T :  de 1963 à 1977, les Suzuki T sont une famille de bicylindres 2-temps refroidis par air, certains étant porteurs d’avancées technologique : on pense par exemple au graissage séparé, dès 1966, année où la T 120 Hustler (une 250, en fait), fut la première moto de série à être dotée d’une boîte 6. La famille des Suzuki T allait d’une cylindrée de 90 (ce fut la T 90 Wolrf ; oui, un petit twin de 90 cm3, ça devait être rigolo !) jusqu’à notre T 500 en modèle phare ; il y a aussi eu des déclinaisons Scrambler, avec les pots relevés. 

La T 500 a été présentée fin 1967 pour une commercialisation courant 1968 : elle s’appelait aussi Cobra sur les marchés américains et canadiens, et Titan ailleurs. Ford fut rapide à réagir : ils ont rappelé à Suzuki qu’ils avait déposé le nom Cobra, avec Caroll Shelby, et la T 500 ne fut plus baptisée de la sorte dès 1969. 

La T 500 était une moto assez classique : en parler comme une « grosse mobylette » n’est pas injurieux, dans la mesure où elle en a aussi des qualités. Certes, son moteur développe tout de même 47 chevaux à 6500 tr/mn, accouplé à une boîte 5 et lubrifié par un système de graissage séparé, sa tenue de route est jugée très correcte pour l’époque (elle dispose d’un empattement assez long, et d’un frein de direction par molette sur le dessus de la colonne). Elle démarre uniquement au kick et celui-ci est positionné à gauche. Le twin demande un petit temps de chauffe avant de fonctionner correctement et générait une intense fumée bleutée. 

La T 500 a un peu vécu dans l’ombre de deux de ses concurrentes : la Honda CB 450 (la maîtrise du 4-temps, avec ce haut niveau de rendement mécanique, ça impressionnait les foules à l’époque) et les Kawasaki 500 2-temps, plus brutales et plus sportives (bien que Jack Findlay remporta quelques courses d’importance avec une T 500, et que la Suzuki remporta la victoire dans sa catégorie au TT 1970 et 1972). Malgré tout, la T 500 prenait facilement 160 km/h compteur, des qualités très correctes en ces temps. 

La T 500 misait sur d’autres qualités : avec le recul, on constate que ce fut très certainement la moto la plus fiable de son temps, suffisamment docile pour un usage quotidien répété, grâce à son moteur coupleux dès les bas régimes et qui ne noyait pas ses bougies à attendre au feu rouge tout en se révélant assez agile malgré ses 185 kilos, voire même pour des voyages au long cours, d’autant qu’elle se contentait d’un entretien assez minimaliste. Un magazine américain l’a emmené rouler dans la Vallée de la Mort en plein été, pour se rendre compte qu’elle encaissait la canicule et ne chauffait pas plus que cela.

La discrète

Toutes ces qualités lui ont permis de traverser les années sans modifications majeures, pour arriver à une production totale qui a dépassé les 100 000 exemplaires et qui était suffisamment bien conçue pour avoir servi de base à la 750 GT (il s’agit finalement du même bloc moteur, auquel on a ajouté un cylindre central, en conservant les mêmes cotes des pistons, et en y adjoignant un refroidissement liquide pour éviter la surchauffe du cylindre central).

De fait, au fil des ans, la T 500 se contente de changements mineurs, principalement des nouveaux coloris et quelques accessoires, tels que la forme et le design des logos Suzuki ou des caches latéraux. Les modèles 73 et 74 sont un peu moins puissants (44 ou 45 ch), et le modèle 1975 (type M) est finalement le plus réussi, car elle se dote d’un plus grand réservoir, d’un frein à disque à l’avant, d’un allumage électronique et d’une meilleure lubrification de la boîte de vitesse. Ce modèle M sera vendu jusqu’en 1977, avant que Suzuki ne change son fusil d’épaule et mise tout sur le quatre-temps, avec la lignée des GS… Nous serons toujours des nostalgiques du deux-temps !