Cette semaine, j'ai essayé une Vincent Egli Godet. Je vous explique pourquoi cette moto est importante.

Attention, ici, on touche le Graal de nombre de collectionneurs. En effet, la Vincent-Egli-Godet, c'est la rencontre des Trois Grâces : chacun des trois protagonistes y a mis le meilleur de son talent, et en plus, la somme dépasse l'apport des parties. Phillip Vincent, Fritz Egli, Patrick Godet : trois noms unis pour le meilleur de la moto classique... 

Vincent Egli Godet : sa vie, son œuvre...

Voici un opéra en trois actes.

Acte 1 : Vincent. Dans les années 40, une grosse moto, c'est souvent un monocylindre 500 culbuté, d'origine anglaise. Ca sort péniblement une petite trentaine de chevaux, ça demande beaucoup d'entretien (à cause des vibrations et du manque de filtrage de l'huile). La 1000 Vincent ringardise tout cela : c'est la première grande routière efficace et fiable du monde de la moto. C'est une Hayabusa filant dans une galaxie composée de GS 500... Vincent, inventeur du Cantilever (un principe de suspension repris par Yamaha plus tard sur les motos de cross puis sur la DTMX, qui a permis aux trails d'abandonner le double amortisseur à l'arrière), s'associe à l'australien Phil Irving qui accouple deux monocylindres 500 JAP pour faire un 1000 V-twin. En 1936, nait la Vincent 1000 Rapide : à l'époque, 45 chevaux et 175 km/h, c'est un avion de chasse ! Mais la légende Vincent se bâtit avec les Black Shadow de 1948, dont le moteur porté à 55 ch lui permettait de franchir la barre impensable des 200 km/h. Hélas, la qualité ne fait pas tout : les Vincent sont chères et en 1955, la firme dépose le bilan. 

Acte 2 : en Suisse, Fritz Egli s'inscrit à une course de côte en 1967 au guidon d'une vieille Vincent récupérée chez un ami. Comme elle tient la route comme une merguez, il conçoit un cadre en tubes de section ovale, et avec elle, il sera sacré champion de Suisse de course de côte en 1968. Egli fera de cela une profession : environ 200 cadres seront produits pour des Vincent, et tout au long de sa vie, il n'aura de cesse de produire des motos performantes, de la Royal Enfield 630 aux Kawasaki turbo et méga carénées.

Acte 3 : en Normandie un ado boutonneux tombe en admiration devant un couple de touristes anglais. Le choc est suffisant pour que cela tourne à l'obsession : il entre au VOC (le Vincent Owners Club en 1974), en crée la branche française en 1979 et se met à courrir sur ces machines. Puis, il les améliore, et de fil en aiguille, ouvre un petit atelier dédié aux Vincent 1992. Malgré une fin prématurée, l'histoire de Patrick Godet est exemplaire dans le sens où elle a reçu à la fois l'adoubement des héritiers de Vincent et de Egli lui-même. Ses refabrications, ses recréations, ses optmisations (le café racer 1330 à boîte 5 et à démarreur électrique...) sont des œuvres d'art, peaufinées dans le moindre détail. 

Vincent Egli Godet : trois choses qui m'ont fait kiffer...

La base a beau venir des années 50, conduire une Vincent reste une expérience riche en émotions, surtout quand on a l'esprit ce qui se faisait à l'époque, genre une Velocette 500 monocylindre... Voici donc trois choses qui m'ont fait kiffer sur la Vincent, en plus du plaisir de détailler le logo mythique en lettres d'or, sur le réservoir. 

  1. L'allonge du V2 : quatre vitesses (à droite), une bonne cinquantaine de chevaux, 120000 km au compteur du modèle essayé, et pourtant, on comprend pourquoi l'engin était une grande routière en son temps... Le V2 est assez souple, tracte en bonne volonté, et permet d'économiser les changements de rapports d'une boîte par ailleurs assez dure...
  2. Le châssis : une Egli est légère (moins de 180 kilos, c'est une prouesse) et le train avant, malgré la fine roue de 18 pouces, est relativement précis. L'ensemble offre un peu d'inertie, mais vire d'un bloc et on prend rapidement confiance...
  3. Les sensations : entre les commandes inversées, la position de conduite très café racer, avec le guidon vraiment loin, le freinage à tambour puissant mais difficilement dosable, le gros compteur Smith et sa fine aiguille qui ont la tremblote, inutile de dire que chaque kilomètre à son guidon, c'est du souvenir pour la vie... 

Une Vincent-Egli-Godet aujourd'hui : combien, comment ?

Peu de chances d'en trouver une bradée sur "le bon coin". Une Vincent, ça se collectionne, ça roule peu (hélas), et sa conserve sa valeur, en tant qu'engin d'exposition, sur la moquette, près de la cheminée. Et c'est bien dommage. Même si l'on estime qu'environ 8000 Vincent sur les 10 000 produites sont encore en état de rouler, les versions Egli-Godet sont rares (quelques grosses dizaines) et les transactions le sont encore plus. Neuve, une Godet-Egli-Vincent coutait plus de 75000 € et il y avait une année d'attente au minimum. Pour une moto qui a roulé, vous ne trouverez rien en dessous de 50 000 €, et ce sera plus pour un exemplaire "collection". 

Quelques chiffres clé :

  • 2 cylindres en V, 998 cm3, 84 x 90 mm
  • carburateurs Amal, 30 mm
  • 55 ch à 5800 tr/mn
  • 172 kilos à sec
  • 200 km/h