Comment en cinquante ans la machine la plus rapide de son temps est devenue une placide, quoique sympathique, débonnaire néo-rétro ? Retour sur l'histoire de la Moto Guzzi V7

Comment la Moto Guzzi V7 est-elle passée d’une machine de pilotes à une moto de hipsters, voire de débutants, voire de hispters débutant ! De la combinaison de cuir à la barbichette et à la chemise à carreaux, voici cinquante ans d’histoire, certes un peu discontinue, d’une machine peu commune ! 


Tout commence avec un tracteur !

Non, on ne parle pas encore de la V7, bien que le couple des moteurs de Mandello puisse leur valoir cette appréciation, plutôt positive par ailleurs ! Pas du tout : il se trouve que cherchant à diversifier ses activités à la fin des années 50's, les ingénieurs de Moto Guzzi mettent au point un nouveau moteur qui a pour objet de motoriser un petit véhicule à 3 roues motrices, qui peut avoir des débouchés militaires et utilitaires, notamment pour les agriculteurs des régions alpines, qui jusque là, utilisaient des ânes. Les ingénieurs de Moto Guzzi (Giulio Cesar - ça ne s’invente pas - Carcano en tête) ont aussi une idée derrière la tête et imaginent le potentiel de ce moteur sous le capot d’une Fiat 500. Point de passion ni de quête de la vitesse ici : on développe une mécanique qui doit d’abord avoir pour qualités d’être fiable, durable et accessible. Moto Guzzi sort donc un moteur original : un V2 à 90°, tout en alliage léger, avec les arbres à cames placé entre les deux cylindres. Il développe alors 29 chevaux, mais surtout un joli couple de 47 Nm à 2400 tr/mn, avec un seul carburateur Weber de 26 mm. Original ? Pas tant que cela. Quoique ! On s’explique : le V2 face à la route, ça existait déjà dans l’histoire de la moto. On pense notamment aux 250 Racer de Lambretta, en Italie, puis, au Japon, entre 1959 et la fin de la décennie suivante, aux Marusho Lilac qui sortent aussi un V2, finalement une espèce de Moto Guzzi du futur et en réduction, d’abord en 250 cm3, puis avec une gamme qui aura des versions 125, 150 et 332 cm3 (un petit V2 de 125 cm3, on imagine ça !). Ce qui est nouveau, par contre, c’est de faire un V2 face à la route avec un embrayage simple disque, un démarreur électrique et une boîte à 4 rapports, ainsi qu’un vilebrequin monobloc que l’on pourrait changer, le cas échéant, sans retirer le moteur du cadre. Cette machine, qu’on appelait « Mulo Meccanico » (la mule mécanique) aura été produite en petite quantité de 1959 à 1963. Sous son air rustique, c’était un engin sophistiqué : boite 6 avec marche arrière, frein à tambour hydraulique à l’arrière. Et Fiat n’a pas donné suite.

Vous reprendrez bien des chips ?

Du coup, Moto Guzzi se retrouve avec un moteur bien né et qui cherche des débouchés. Le monocylindre 500 des Falcone étant un poil juste, les têtes pensantes de Moto Guzzi voient dans le marché américain un beau débouché : la preuve, à cette époque, 80 % de l’industrie motocycliste anglaise est exportée aux States. Mieux : en plus du marché civil, il faudrait réussir à remporter des marchés publics et ce sera le cas avec la police californienne (d’où le subtil jeu de mot de l’intertitre ci-dessus, ainsi que les versions California qui gagneront plus tard le catalogue Moto Guzzi). Bref. Une V700 apparait en 1967, c’est alors une solide routière, bien construite et d’apparence classique. Elle développe alors 50 chevaux. A peine un an après, elle évolue en V750 (757 cm3, 55 chevaux) puis, en 1969, dispose de versions Spécial et Ambassador. Moto Guzzi veut alors tenter de faire parler d’eux en battant des records et conçoivent une version carénée d’une V7 vraiment spéciale (68 ch, 158 kilos, 230 km/h). Plusieurs records de vitesse seront battus, mais le cadre de la moto n’est pas adapté ) à une conduite un peu sportive.

Vive le sport !

L’ingénieur Leo Tonti dessine alors un nouveau cadre, plus léger, plus rigide, et qui abaisse le centre de gravité : il se distingue notamment par une poutre centrale abaissée, qui passe au milieu des cylindres. Toujours pour abaisser l’ensemble, un alternateur plus compact (180 W au lieu de 300 W était monté, et les carters étaient un peu redessinés, d’où une cylindrées en légère baisse, réduite à 748 cm3. La machine est présentée en 1971. En juin de la même année, aux 500 km de Monza, Mike Hailwood (en pantalon de flanelle, il était là pour un magazine auto) l’essaie et déclare qu’il n’a jamais vu de moto routière tenir aussi bien la route. Sans grande préparation, le duo Riva et Piazzalunga finirent 3ème, puis en octobre, Brambilla & Cavalli remportèrent les 500 km de Vallelunga. La FIM exige cependant une production de 150 machines pour l’homologation : ce sera le cas des versions « Telaio Rosso » (cadre rouge, qui contraste avec la couleur vert citron !). Cette première série, assemblée à la main, possède un cadre plus léger que les exemplaires suivants, qui peuvent être considérés comme des modèles de grande série. Sa grande rareté fait que sa cote s’enflamme : un exemplaire est parti à plus de 35000 € lors d’une vente aux enchères Bonhams début 2018. En 1972, avec 200 km/h chrono, la V7 Sport est la moto de série la plus rapide, et certainement aussi celle qui tient le mieux la route. Par rapport au modèle 71, la V7 Sport a déjà évolué : le cadre, noir, est conçu avec des matériaux différents, la boîte de vitesse est renforcée, les carters sont désormais injectés, le transmission finale comporte des éléments de 850 GT. C’est vraiment son cadre et son centre de gravité qui lui permettent de faire la différence avec ses concurrentes. Malgré 2152 V7 Sport vendue, la fourniture de motos à différentes forces de police et la poursuite de la carrière de la V750 (qui est d’ailleurs devenue V850 entre temps), Moto Guzzi va mal et la firme est alors rachetée par l’industriel italo-argentin Alessandro de Tomaso (oui, celui des voitures, qui est aussi alors propriétaire de Benelli). Malgré cela, la moto évolue un peu en 1973 : nouveaux guidons bracelets, et sur le plan technique, une chaîne de distribution remplace la cascade de pignons. De même, Moto Guzzi anticipe une évolution de la réglementation américaine (qui va rendre obligatoire les sélecteurs de boites de vitesse sur le côté gauche) et change donc la tringlerie de boîte. De même, une option double frein à disque à l’avant (deux disques en fonte de 300 mm et des étriers Brembo 08 à pistons opposés) est proposée en option. Cette année là, la V7 Sport sera produite à 1435 unités avec les freins à tambour et 152 équipées des freins à disque.

Et la concurrence s’organise…

Alors que les motos japonaises deviennent de plus en plus performantes, la V7 Sport devient 750 S en 1974. Hélas, elle reflète la politique de baisse des coûts initiée par De Tomaso. La 750 S de 1974 marque donc une évolution de la V7 Sport, sur le plan cosmétique (noire à bandes de couleur sur le réservoir et les caches latéraux), un collecteur d’échappement chromé mais des silencieux noir mat. Elle connaîtra moins de succès, avec 948 unités produites. Elle évolue en 750 S3 en 1975, non sans subir pas moins de 55 modifications dont une définition moteur proche de celle de la 850 T3 avec un arbre à came plus typé tourisme, un pont arrière de 1000 Convert, de nouveaux garde boue, un réservoir d’essence modifié, avec une nouvelle trappe. La aussi, le succès sera mitigé avec seulement 950 exemplaires produits en 1975. Et l’arrivée de la 850 Le Mans fin 76 marque la fin des V7 « sportives »…

La vengeance des hipsters

La carrière de la V7 aura connu une longue interruption. La lignée sportive chez Moto Guzzi va être incarnée par les 850 puis 1000 Le Mans. D’un autre côté, Moto Guzzi développe en 1977 un tout nouveau bloc moteur, de petite cylindrée : le V35 et V50. Ce moteur était conçu dès le départ pour connaître de nombreuses évolutions : il passera en 650 en 1982, puis en 750 en 1988, d’abord avec le trail NTX, la SP en 1989, la Nevada en 1991. Ce moteur est destiné à une longue carrière puisqu’on le retrouvera encore, à peine modifié (culasses, soupapes et injection) dans la Breva IE de 2003. En 2008, à l’occasion du quarantième anniversaire de la V7, Moto Guzzi ressort la V7 Classic, qui établit un trait d’union entre le passé (l’allure sportive de la V7 Sport d’antan) et les tendances actuelles et, petit à petit, Moto Guzzi décline des versions, Stone, Special, Racer… Et c’est toujours le même moteur que l’on retrouve dans la V7 II de 2015, avec tout de même quelques modifications sur la moto : enfin, une boîte à 6 rapports à fait son apparition, le cadre est modifié pour abaisser le moteur de 10 mm et le pivoter de 4° vers l’avant, l’ABS fait son apparition. Etonnement, cette V7 II aura une carrière courte : la V7 III lui succède en 2017 avec, là, de plus sérieuses modifications ! Le vieux bloc moteur reçoit de nouvelles culasses, cylindres et pistons, des carters moteurs rigidifiés, un refroidissement amélioré, une boîte 6 à l’étagement retravaillé. Moto Guzzi travaille les apparences, avec pour le millésime 2019, pas moins de 7 versions au catalogue. Et alors que la V7 n’a jamais été aussi cool, elle a aussi un contrôle de traction. De quoi méditer sur le sens de l’évolution !