Alors que Moto Guzzi est en train de présenter la très attendue V85 TT en ce mois de mars 2019, voici le moment idéal pour revenir sur l’histoire des trails au sein de la marque de Mandello del Lario. Ce n’est pas la famille la plus connue, certes, mais elle ne manque pas d’intérêt…

26 décembre 1978 : sur la place du Trocadéro, à Paris, pas moins de cinq Moto Guzzi sont au départ du Paris-Dakar 1979.

Une initiative de l’usine ? Pas du tout : en réalité, l’importateur français de Moto Guzzi, la SEUDEM, a transformé 5 braves petits V50 en « trails » ! Nouvelle fourche, roue avant de 21 pouces, gros réservoir de 30 litres, suspensions adaptées (une fourche Marzocchi de 240 mm de débattement, amortisseur à gaz Marzocchi de 105 mm de débattement), la totale ! La totale ? Non, en fait, car faute de roues à rayon compatibles avec le moyeu du cardan à l’arrière, les machines de course conservent la roue à bâtons et en alliage de série. 

Le 14 janvier, à Dakar, quatre Moto Guzzi ont disparu du classement. Mais l’une d’entre elles voit le lac Rose : il s’agit de la numéro 83, pilotée par Bernard Rigoni, en 48ème position (sur les 75 à Dakar et les 170 à Paris). 

Bernard Rigoni (qui fera ensuite une belle carrière chez Honda après un joli palmarès en compétition, sur route et sur piste comme en tout-terrain) s’en sortira en effet mieux que ses quatre coéquipiers, parmi lesquels se trouvaient une femme, Martine Renier, et Eric Breton, qui fera ensuite une longue carrière dans le journalisme de moto tout-terrain. Pour l’anecdote, la performance de Bernard Rigoni suscite le respect, car 2 autres V50 seront au départ du Dakar 1981 et 3 autres en 1982, et toutes abandonneront. 

Bref, ceci explique que peu de temps après que BMW a lancé sa R 80 G/S en 1980, qui fut le premier gros trail bicylindre de série, Moto Guzzi était prêt à suivre le mouvement. Comment se fait-il ? Réponse ci-dessous.

Tutto Terreno !

C’est comme cela que l’on dit « tout-terrain », en italien. Et c’est comme cela que Moto Guzzi va baptiser son trail. Petit rappel historique : après les V7 Sport de 1968, et la génération des 850 et 1000 qui en découlera, Moto Guzzi développe un autre V2 de plus petite cylindrée en 1976 et 1977, qui équipe les V35 et V50. Au départ, ces machines sont de simples routières, voire gentiment « café-racerisées » dans leur version Monza, avec guidons bracelets et petit capotage de phare. 

Ensuite, les grands esprits se rencontrent : de son côté, la SEUDEM, préalablement à l’engagement au Dakar, avait déjà défriché le terrain en montant un V2 Moto Guzzi dans le cadre d’un trail 125, et un prototype du même genre, mieux fini, est présenté au salon de Paris fin 1979. Et Moto Guzzi s’implique avec la V50 TS, un prototype qui sera présenté au salon de Milan en 1981, et qui préfigure les nouveautés à venir. 

C’est ainsi que les V35 TT (35 chevaux, 165 kilos) et V65 TT (47 ch à 7400 tr/mn, 180 kilos) seront produites de 1984 à 1986. Ces TT avaient été jugées agréables sur le plan mécanique, mais manquaient malgré tout d’aboutissement dans leur conception : réservoir trop petit pour partir à l’aventure, transmission et cardan fragiles, débattement arrière insuffisant et fourche trop dure, des repose-pieds trop hauts pour une position TT agréable, une première trop longue pour les sections techniques, et un frein avant notoirement inexistant : ça commence à faire beaucoup de défauts pour un trail ! Et encore, on ne vous parle pas des blagounettes du circuit électrique ni de l’absence de contrôle qualité qui caractérisait l’Italie de l’époque… 

Parallèlement, Moto Guzzi revient au Dakar, cette fois-ci officiellement en 1985, avec la construction à l’usine de 17 exemplaires d’une V65 Baja et cette fois, ils ont trouvé comment faire une roue à rayons à l’arrière. Engagée en 1985, la Guzzi ne finira pas la course… Il faut dire qu’entre-temps, le niveau de la concurrence s’est relevé : BMW emporte l’épreuve avec une R 100 GS…

Acte 2 : la NTX

Moto Guzzi ressent donc la nécessité de faire évoluer les TT. Ce sera l’objectif des « Nuevo Tipo Cross », les V35 NTX et V65 NTX, produites de 1986 à 1990, puis de la NTX 750, qui prendra le relais de 1987 à 1995. La 750 n’est pas plus puissante que la 650, mais elle offre plus de couple et, de fait, elle alimentera aussi les marchés publics en Italie, notamment en moto de police (et dans ce cas, elles perdront la roue avant de 21 pouces pour un élément plus routier en 18 pouces). La production de ces versions continuera jusqu’en 2001, bien longtemps après l’arrêt des versions civiles. 

La NTX est une concurrente de la Honda Transalp, qui sort au même moment : elle est confortable grâce à sa selle épaisse et son pare-brise, mais le réservoir de 32 litres et les suspensions Marzocchi lui confèrent malgré tout quelques aptitudes à l’aventure. La NTX tente de corriger les défauts de la TT, sans y parvenir complètement : un moteur agréable et un confort correct ne suffisent pas à faire passer la pilule de freins faiblards et de suspensions dépassées. Bref, il fallait aimer le charme suranné et le côté farce des motos italiennes pour ne pas voir qu’en face, le segment devenait vraiment consistant, avec la BMW R 100 GS, les Honda Africa Twin, Yamaha Super Ténéré, Suzuki DR 800…

Acte 3 : la Quota

Et l’on revient à la GS, car c’est elle qui a survécu à toutes ces périodes, évolutions, changement de cylindrées, et qui au fil du temps a imposé un nouveau genre de motos : le gros trail puissant, confortable, rapide, polyvalent et efficace en toutes circonstances. 

Parallèlement à la NTX 750 qui végète dans son coin, Moto Guzzi passe lui aussi à la vitesse supérieure : en 1992, voici la 1000 Quota qui reprend un bloc de California III injecté qui développe 69 chevaux et un couple à rendre jaloux un propriétaire de tracteur. Là, enfin, on passe à quelque chose de moderne : double frein à disque Brembo, mono-amortisseur à l’arrière, partie-cycle nettement plus rigide avec des tubes de section rectangulaire ! Atavisme italien : le côté farce n’était pas totalement abandonné avec les premières machines livrées sans béquille latérale... Tous les gabarits n’avaient pas forcément envie de se coltiner le béquillage sur le centrale d’un tel morceau à chaque arrêt. Et quand Guzzi s’est décidé à mettre une latérale, elle était à retour automatique. Et toc, une Quota sur le flanc ! 

Que ces détails ne vous détournent pas de l’essentiel : la Quota était une bonne moto, encore plus à partir de 1997, quand elle devient Quota 1100 ES, avec le moteur 1064 injecté de la 1100 Sport développant 70 chevaux et 85 Nm de couple. Le confort est toujours là, les freins progressent encore (on passe à des Brembo de 296 mm), elle frôle désormais les 200 km/h chrono, elle tient bien la route. Sauf qu’en interne, on n’en veut pas : Moto Guzzi appartient désormais à Aprilia et la firme de Noale, qui a de grandes ambitions avec sa 1000 Caponord, ne veut pas d’un second gros trail dans la famille. De fait, moins de 1000 Quota 1100 ES seront produites et en 2002, c’est la fin du gros trail chez Moto Guzzi. 


Acte 4 : la Stelvio

La fin ? Non, une fin temporaire. Car le groupe Piaggio reprend Aprilia et Moto Guzzi en 2004, et les stratégies changent à nouveau (sans compter que la Caponord 1000 n’est pas le succès commercial espéré). Ainsi, reprenant la base technique des Breva / Griso, la 1200 Stelvio apparaît en 2008 et est un peu restylée en 2012. Petit rappel historique : une version NTX avec gros réservoir sera également au catalogue. Ceux qui ont eu la chance de l’essayer en conservent le souvenir d’un gros trail attachant, confortable, doté d’un moteur charmeur et coupleux, ainsi que d’un châssis très équilibré. Hélas, en face, la satanée GS (encore elle !) consolidait son statut d’icône et devenait la machine de grosse cylindrée la plus vendue au monde, tandis que la concurrence se renforçait aussi (Yamaha Super Ténéré 1200, Triumph Tiger, KTM Adventure…). Fin de l’histoire des Stelvio en 2016.

Et si ?

Et si avec sa toute nouvelle V85 TT, Moto Guzzi renouait avec le succès d’un vrai bon trail, facile, équilibré, doté du bon niveau de puissance ? Et si l’histoire des trails Moto Guzzi n’avait pas commencé avec tout ce qui est écrit ci-dessus (car pour beaucoup, Moto Guzzi, c’est d’abord, surtout, voire seulement le V2), mais avec cette petite Cross 50 de 1974, avec son petit moteur 2-temps (bon, ok, c’est une Benelli rebadgée, mais sous l’ère De Tomaso - oui, celui des bagnoles - qui possédait les deux marques, ça se faisait beaucoup !). Néanmoins, elle est craquante, non ?