Depuis la création du championnat MotoGP, la Honda RCV domine régulièrement les débats. Ultra performante, et surtout facile, car elle gagne entre les mains de pilotes différents : Rossi, Biaggi, Ukawa, Gibernau puis Stoner, Pedrosa, Marquez. Combien ont remporté des Grand Prix à son guidon ? Hormis Yamaha, et Ducati grâce à Stoner, ni Suz, ni Kawa, ni Aprilia ne sont parvenus à venir inquiéter l’homogénéité et les performances du V5 puis du V4 Honda. Si vous restez un moment en bord de piste, il vous semblera voir passer un super VFR : le son caractéristique des V4 Honda un rien plus rageur, mais facile à doser, avec une puissance linéaire aisée à maitriser . Si Honda gagne, c'est le fruit de plus de 50 années de recherche à haut niveau sur les moteurs 4 temps. Petit retour.

L'expérience !

50 ans d’expérience, et une immense puissance financière, Honda sait faire des 4 temps. La marque a toujours été liée aux moteurs à soupapes car, depuis le départ, ce cycle correspond mieux à l’image Honda : un moteur plus propre, plus civique . Mais, outre cela, c’est bien par la capacité de résoudre intellectuellement les problèmes avec des solutions inédites que les motoristes de Honda imposent leur griffe .

La philosophie de Soichiro Honda a toujours été claire : «Allez au bout de vos idées. Même si elles échouent , il en restera toujours quelque chose d’utile».

La maternelle

Mai 1959, 5 pilotes Japonais sur leur 125  font sourire les observateurs du Tourist Trophy. Les  5 motos finissent et Honda remporte le trophée de la fiabilité.

1966 : 7 ans se sont écoulés. Honda est champion du monde des constructeurs dans toutes les catégories : 50, 125, 250, 350 et 500 : plus personne ne sourit !

En se battant sur tous les fronts : contre MV en 350 et 500 et contre une armée de 2 temps en 50, 125 et 250, Honda va développer les 4 temps les plus modernes, et les plus mythiques jamais vus !

Petit rappel : si l’on s’en tient à la théorie, un 2 temps est plus adapté à la compétition qu’un 4 temps : moins de pièces en mouvement (soupapes, arbres à cames, distribution, etc.), plus léger et, surtout, disposant d’un tour moteur utile sur 2 contre 1 sur 4 pour les  4 temps...

Puisque la puissance est le fruit du couple par le régime, il va falloir tourner plus vite pour contrer les 2 temps et, même, 2 fois plus vite ! En multipliant les cylindres, l’équipe rouge contourne le problème. A cylindrée égale, un bicylindre est plus puissant qu’un mono, etc.

Le «déclic» arrive avec le 50 bicylindre de 62. Une micro merveille : diamètre du piston de 3 cm... course de 2,9 cm, deux soupapes de 13 mm de diamètre à l’admission, et deux de 12 mm à l’échappement : donc 4 soupapes dans 3 cm de diamètre d’alésage.... Avec sa zone rouge à 22 000 tours minute, il disposait d’une distribution par engrenages. On raconte d’ailleurs qu’Honda avait débauché des horlogers suisses pour réaliser les plans de si petits engrenages vitaux pour la santé de son microscopique obus !  Résultat : 14 CV à 21 500 tr/mn en 64. Le tout sans injection, sans électronique, et avec une métallurgie et des huiles en retrait sur ce que nous connaissons  !

La preuve par 6

En 1965, c’est  en collant 5 de ces cylindres de 25 cm3 qu’Honda fabrique l’exceptionnelle 125 de Taveri. Cette machine, non contente d’être le premier 5 cylindres de compétition (avec les problèmes d’accords qu’induit ce choix ) détient toujours le record de régime atteint par un 4 temps : 24 000 tours minute !  Un régime que les F1 actuelles n’approchent même pas (entre 17 000 et 19 000 pour les meilleurs ! ).

Pour l’avoir vu en démonstration avec Taveri et Sheene en 1982 au Paul Ricard, ce 125-5 est un engin saisissant : très longue montée en régime, passage de vitesses incessant (14 vitesses) mais, surtout, absence totale d’inertie du moteur qui calait net sous 16 000 tours une fois les gaz coupés. Aussi net que si quelque chose avait cassé.

On dit qu’un journaliste anglais a pu, à l’époque, subtiliser une bielle et l’amena en Angleterre pour analyse du matériau. Personne ne fut en mesure de l’identifier. Il faut dire que Mr Honda lui-même possédait de très solides connaissances métallurgiques, et qu’il ne négligeait l’emploi d’aucun matériau pour ses machines. Il achetait, par exemple, des lingots de 20 tonnes de magnésium directement aux USA !

50 bicylindres, 125 5 cylindres, 250 et 350 six cylindres, toutes ces motos ont appris à Honda les bases du 4 temps de très hautes performances, mais également à travailler tous les aspects techniques : Miniaturisation, simplification, intégration : l’idée de reporter l’alternateur derrière les cylindres est exploitée dès 62. Il faudra attendre la fin des 70‘ pour le retrouver en série. Et si la FIM n’avait pas changé les règlements de GP en 68, un 50 3 cylindres et une 125 6 cylindres étaient déjà programmés au Japon pour la saison 69.

Ne trouvant plus le défi technique intéressant, Honda se retire, non sans avoir assis sa réputation au plan mondial. Le plan a parfaitement fonctionné : démontrer sa puissance technologique.

V4 ou V8 ?

A la fin des années 70, commercialement, la marque est omniprésente, ses produits sont remarquables mais le lustre de la compétition au plus haut niveau a un peu pali et, surtout, la philosophie d’Honda est d’entraîner ses ingénieurs en course avant de les passer à la production.

Il faut donc revenir sur le devant de la scène, et les troupes ont pour ordre de battre Yamaha et Suzuki  avec les stars de l’époque : Sheene, Agostini, Cecotto, etc. La  puissance à atteindre est  fixée à 130 cv.

4 temps évidemment, V à 100°, pistons ovales, 32 soupapes, oui, vous avez bien lu, 8 soupapes par cylindre et 2 bielles par piston, comme souvent pour Honda, le signe de l’innovation technologique et le culte de la différence animent ce retour !

Une telle architecture moteur ne doit rien au hasard, ni au caprice : en étant limités à 4 cylindres par le règlement, il était impossible de revenir à la multiplication des cylindres. En choisissant des pistons ovales (93,4 x 41 x 36), Honda contourne le problème et réalise presque un V8, avec des pistons comme soudés 2 à 2. Ainsi, dans leur longueur il est possible de multiplier les soupapes : 8 par cylindres. Le régime atteint avoisine encore une fois les 20 000 tr/mn.

Avec une inertie moteur réduite, la NR a posé des soucis de dribbles au freinage (c’est là qu’Honda a mis au point les embrayages à glissement limité), et manquait d’accélération face aux 2 temps ; mais, plus que tout, la mise en marche à la poussette (autre temps, autres moeurs) était périlleuse du fait du frottement induit par le nombre de pièces à mettre en mouvement ! Déja mal placées sur la  grille, la NR (surnommée Never Ready par les mauvaises langues) partaient franchement dernières !

Ni Katayama, ni Grant ne feront d’étincelles, d’autant que le châssis était aussi révolutionnaire que le moteur : jantes de 16 av-ar, cadre coque qui englobe le moteur et fait également carénage, fourche à amortisseurs séparés et axe déporté vers l’arrière, étriers en position avant ... c’était sans doute un peu trop. Même si Spencer (avec un châssis plus traditionnel que celui de la première version) remporte une épreuve de faible importance aux USA la machine est condamnée.

Dans tous les cas, tous les moteurs en V, de course ou de série, ont hérité de ce laboratoire !  RC 30, VFR, RC 45... Honda a testé plusieurs angles de V différents et, toute la suite de l'histoire a bénéficié de cette longue phase de recherche .

Globalement, du fait de son expérience, Honda sait depuis longtemps comment obtenir une grande puissance sur les 4 temps. Regardez le compte-tours de la 250 6 cylindres ci-dessous, exploiter des régimes élevés n'a jamais été un problème.

RCV : Récolte Carrément Victorieuse !

Aujourd’hui, les succès en MotoGP, grâce à l’équation fiabilité-facilité-performances de la RCV est un casse-tête pour la concurrence. En outre, leur maîtrise de la consommation et de l'usure moteur a pris une importance particulière avec les nouveaux règlements.

Dès la création de la catégorie MotoGP entrant le fruit de son expérience dans tous les computers, le HRC savait qu’un moteur en V serait l’arme absolue en équilibrant parfaitement : puissance-poids-consommation-compacité- souplesse. Yamaha a tergiversé un moment avant de trouver le Cross Plane, Ducati  a de vrais soucis d'homogéneité, Suzuki, Kawasaki et Aprilia se sont cassé les dents. Or, depuis le départ, la RCV n'a pas changé de concept ! Preuve que l'analyse initiale était la bonne ! Une évidente maîtrise du sujet.

Ce savoir-faire recoupe plusieurs domaines : hors course moto, Honda a également fait un parcours de premier plan en F1. Or, à l’époque Senna, Honda a réalisé : un V6 Turbo, puis un V12, puis un exceptionnel V10.... ce qui a du laisser des traces dans la mémoire du HRC aussi bien sur l’acoustique et l’accord des échappements, que sur l’angle d’ouverture du V.

Sachez également qu’à l’époque, tous les motoristes de la F1 ont fait voter une loi pour interdire les moteurs à pistons ovales ... on sait jamais !

En clair, quand on a appris la haute voltige des hauts régimes dans les années 60, le V dans les années 70, qu’on a bien accordé l’acoustique des multiples de 5 dans les années 80-90, que l’on additionne le tout sur la moto de Rossi, Pedrosa, Stoner, Marquez etc. c’est presque facile ! Un puzzle mécanique éclairé par les expériences successives.

Un dernier indice : regardez bien les pièces de la RC 211, Honda est tellement en avance qu’il n’y a quasiment aucune pièce à l’aspect proto. Toutes les pièces sont coulées comme sur une moto de série. Peu de hasard.

Allez, et pour le plaisir, la vidéo du savoir faire Honda : http://www.youtube.com/watch?v=Dxy4n0UT82o