Alors que la Suzuki Hayabusa vient de quitter officiellement le catalogue de Suzuki France et qu’il n’en reste probablement plus qu’une poignée en stock neuf sur le carrelage des concessionnaires, prenons le temps de nous arrêter sur sa carrière. Cette machine a, cela ne fait aucun doute, marqué durablement l’histoire de la Moto. Symbole d’une époque, elle était sur la fin de sa carrière de plus en plus en décalage avec les mentalités changeantes de l’ère moderne. La Suzuki Hayabusa est un magnifique vestige d’un moment de l’histoire, aujourd’hui dépassé et qu’on a le droit de regretter.

Fut une époque où Citroën faisait des publicités où l’on voyait des voitures décoller d’un porte-avion ! D’un point de vue conceptuel, cette apologie de la puissance, de la vitesse, de la performance semble être dépassée depuis plus d’un millénaire tellement nous sommes désormais entouré d’un discours où la vigueur des incitations à l’éco-mobilité n’a d’égale que la culpabilisation de la notion de plaisir de conduite. Bref, ô tempora, ô mores !

Suzuki Hayabusa, le prédateur

Mercredi 10 février 1999 : la moto la plus rapide du moment se nomme Honda CBR 1100 XX Blackbird. 280 km/h chrono pour l’oiseau noir. Jeudi 11 février 1999 : l’oiseau noir se fait bouffer. Et qu’est-ce qui bouffe les oiseaux noirs ? Le faucon pèlerin, pardi, un sacré prédateur. Faucon pèlerin, en japonais, ça se dit « Hayabusa ». Jeudi 11 février 1999, c’est aussi la sortie du Moto Journal n°1362 : un numéro scandaleux. En effet, on y voit une Suzuki Hayabusa en couverture, barrée du chiffre 340 km/h ! La Une frappe et le bal des faux-culs démarre aussitôt : les importateurs « punissent » MJ et privent l’hebdo d’accès aux motos d’essai pendant un mois, ainsi que recettes publicitaires. C’est tellement plus commode de punir les médias qui rendent comptent de ce que produisent les constructeurs...

Certes, le compteur trichait un peu et MJ avait aussi joué sur cette ambiguïté : néanmoins, avec son profilage étudié et son quatre cylindres de 175 chevaux, l’Hayabusa dépassait toutefois (certes, de peu) les 300 km/h chrono et transgressait les règles. L’écho fut tel que les constructeurs japonais, eux aussi, se mettent à faire les tartuffes : les machines n’afficheront au compteur qu’une vitesse maximale, limitée électroniquement, de 299 km/h. La belle affaire. Du coup, cela a empêché la ZX-12R, lancée par Kawasaki un an plus tard, de lui voler la vedette. 

En tous cas, Suzuki devait se frotter les mains car les 800 exemplaires prévus cette année de lancement se vendront facilement grâce à ce coup de buzz racoleur, et ce malgré un prix relativement élevé (elle était alors vendue 75.000 francs, soit l'équivalent de 11.434 € à l'époque, ou encore 14.550 € aujourd'hui si l'on raisonne en termes de pouvoir d'achat constant selon l’INSEE).

La forme et la fonction

Ce qu’il y a de bien, avec l’Hayabusa, c’est qu’elle a la tête de l’emploi : on la voit, on devine qu’elle a été taillée pour la vitesse, sculptée par le vent. Certes, le pilote doit un peu courber l’échine sur l’autoroute, mais l’ergonomie de la moto est faite pour que l’on s’intègre facilement au guidon et que l’on fasse corps avec la machine. 

En vingt ans de carrière, l’Hayabusa a finalement connu peu de modifications. D’abord apparue avec un quatre cylindres en ligne de 1299 cm3 et de 175 chevaux (et le fameux coloris bronze / gris du millésime de lancement), elle a traversé les premières années de commercialisation avec uniquement des petits changements de couleur et, sur certains marchés, des séries limitées (les USA, gros marché pour la Suz’, en étaient particulièrement friands). En 2003, elle adoptera une nouvelle ECU 32 bits ainsi qu’une injection plus précise, des étriers de freins dorés (au lieu de noir) et une fourche noire (au lieu de grise) ; cette année-là, les séries limitées continuent, notamment au Canada (noire) et aux USA (orange). Grosse révolution en 2005 : les cabochons de clignotants ne sont plus orange, mais translucides ! Et en 2007, elle adopte des coloris unis et c’est là que sort sa version roadster, la B-King qui connaîtra, elle, une carrière en demi-teinte. Alors que la première génération d’Hayabusa aura été vendue à plus de 100 000 exemplaires à travers le monde, la première refonte apparait au bout de 10 ans de carrière : en 2008, l’Hayabusa passe aux normes Euro 3, adopte un moteur plus gros (1340 cm3 et développe désormais 197 chevaux !). Le moteur ne se contente pas d’une cylindrée en hausse : le taux de compression est augmenté (de 11,1 à 12,5:1), la culasse est plus compacte, les soupapes sont en titane, les pistons sont plus légers. Les suspensions sont de chez Kayaba et Tokico arrive avec des étriers de freins radiaux à l’avant. 

L’esthétique évolue un petit peu, mais les lignes générales, bien qu’un peu arrondies, sont conservées : cela met en relief le coup de génie de Koji Yoshirua, le designer, qui reconnaissait que pour ce projet, « Suzuki voulait un design presque grotesque, un truc qui allait marquer les esprits » ! 

Nouvelles modifications en 2013, avec l’arrivée de l’ABS et de jolis étriers de freins Brembo qui, hélas, c’est une mauvaise habitude chez Suzuki, sont alimentés par des durits en plastique tout mou. Du coup, le freinage reste un peu en deçà des espérances.

Car contrairement aux apparences, si l’Hayabusa est taillée pour la vitesse, elle n’est pas faite que pour la vitesse et c’est cet aspect de sa personnalité qui explique sa grande longévité. A condition de se faire à sa position de conduite un peu typée, l’Hayabusa se révélait une grande routière sportive, au souffle inépuisable, à la tenue de route très sure et à l’agilité suffisante pour se taper de la petite route de campagne ; j'ai des souvenirs émus d'une remontée de la France, en duo et sur des petites routes. Ce sont ces qualités, alliées à son esthétique et à sa posture unique sur le marché, qui lui ont généré un fan-club assez fourni, dont nombre de membres ne changeaient son Hayabusa que pour une autre Hayabusa !

Quelques finalités inattendues

Que des préparateurs un peu cintrés lui collent un turbo, il fallait s’y attendre. Des USA à l’Australie en passant par l’Afrique du Sud, nombre d’Hayabusa ont été préparées ainsi. Le pire, c’est que même ainsi, le bloc restait fiable : j’en ai essayé une qui développait 340 chevaux, qui se cabrait à 220 km/h en 4ème sur un coup de gaz, et qui était utilisée au quotidien par son propriétaire (un policier, le comble !), qui faisait juste une consommation assez élevée d’embrayages (tous les 20 000 km !). Mais la moto tenait le ralenti, démarrait au quart de tour, était utilisable en ville en restant doux sur la poignée de gaz. Ce moteur étant quasiment indestructible, l’Hayabusa s’est aussi beaucoup retrouvée sur les grilles de départ des drag-strips. Ce moteur est une telle bénédiction qu’il a aussi servi de bases à quelques autos préparées, de la Lotus Seven à la Radical SR1 en passant par la SmartBusa, une Smart bien boostée vendue aux USA, et des buggys de tout-terrain que l’on trouve dans le désert des Emirats. 

Plus étonnant, on a trouvé des Hayabusa avec des gyrophares ! En effet, les forces de police de l’Oklahoma en ont utilisé, tout comme la police du comté de Humberside en Grande-Bretagne, mais ici comme moto banalisée. De quoi s’écrier : 22, v’la les flics !