Elle devait sauver l’industrie mécanique de la moto… elle en est l’un des plus jolis souvenirs. La Triumph Trident T150 est la dernière de l’époque « historique » de la grande production de motos Anglaises qui remontait au début du siècle, pour prendre fin avec elle en 1976 Le vertical twin Anglais a ravi des générations entières, mais, durant les années 60, le continent US, grand consommateur de 2 roues, cherchait plus de puissance pour arpenter des contrées gigantesques. Les twins sont à bout de développement. D’un autre côté, les Japonais arrivaient avec des machines, certes plus petites en cylindrée mais, surtout, hautement plus techniques, et principalement bien plus « pratiques ». Forte de cette analyse, la direction de Triumph aurait pu rapidement se mettre au pli, si la décision avait été prise assez tôt ……

Devoir s'adapter !

Dès le début des années 1960, deux ingénieurs, Bert Hopwood et Doug Hele, bossent sur l’élaboration d’un nouveau moteur. Leur objectif est double :  offrir un moteur de plus grosse cylindrée, en réduisant les vibrations. Comme l’usine ne soutient pas le projet, ils travaillent avec des bases existantes… en dérivant celui équipant la Speed Twin (un 500 …). Le trois cylindres est obtenu en ajoutant un cylindre et deux paliers de vilebrequin au bicylindre. Mais surtout, ils continuent d’exploiter les carters existants, ce qui va donner un bloc avec 7 plans de joints verticaux … cette complexité coûtera cher à la fabrication et en termes de mauvaise réputation ! L’accord officiel du board de NVT (Norton Villiers Triumph) donne son accord en 63. Un premier prototype nommé P1 est assemblé en 1965. Sa cylindrée est de 748 cm³ (63 x 80 mm), avec une transmission primaire par engrenages.

Un deuxième prototype P2 naît en 1966. La cylindrée du moteur plus basse, 740,4 cm³ mais les cotes internes sont définitives 67 x 70 mm, et la transmission primaire se fait désormais par chaîne pour d’évidentes raisons d’économies. Les cylindres sont en aluminium. Le vilebrequin est moderne : forgé, calé à 120 °, il repose sur 4 paliers et tourne sur 2 roulements extérieurs.

Cette version entre en production en 1968 (présentation en Mars) sous le nom de Trident T150, car elle est annoncée comme ayant une vitesse de pointe de 150 miles/h.

Déception venue .......du Japon

Ce trois cylindres arrive avec une puissance annoncée de près de  60 chevaux (58 à 7250 tr/mn). Ca devrait faire l’affaire ! Mais, quelques mois plus tard, Honda arrive avec la CB 750 et la Trident va vieillir d’un seul coup.

La comparaison tourne vite en défaveur de la Triumph : son démarrage se fait encore au kick., car le démarreur électrique n’a pas semblé utile chez NVT… la boîte n’a que 4 vitesses… la distribution est encore à tiges et culbuteurs … et elle a un tambour à l’avant … son moteur dispose de 35 ( ! ) carters et couvercles divers augmentant, à coup sûr, les risques de fuite d’huile. Par souci de standardisation, le groupe a repris un maximum de pièces existantes y compris des éléments du 250 mono !

Ce concept de standardisation va conduire à greffer du vieux avec du moins vieux et va engendrer un empilage de pièces hyper complexe et donc fragile, peu étanche (multiplication des plans de joints) avec des carters peu rigides face à l’effort. Il en découlera une maintenance pointue et onéreuse !

Qu’à cela ne tienne, la Trident a un charme et une voix … à part !

Si à l’époque, cela pouvait sembler naturel aux habitués des années 60, aujourd’hui, le petit cérémonial de démarrage est exotique : tourner la clé sur le côté gauche du phare, le voyant de pression d’huile s’allume sur le cuvelage entre les compteurs. Titiller les cuves de carbu, déplier le kick et l'actionner d’un long mouvement jusque tout en bas. Normalement, ça part, surtout si vous avez remplacé avec bonheur l’allumage d’origine par une version électronique. Ahhhhh, la musique commence. Pour l’instant, la voix est profonde.

Et dire que, sur la CB 750, un bouton électrique va faire tout ça en une seule manipulation …

Attention, le cérémonial n’est pas fini ... la première est bien en bas… mais à droite. Si vous vous affolez, vous freinerez avec le sélecteur et rétrograderez avec la pédale de frein…

L’embrayage est assez ferme mais progressif, la régularité du 3 cylindres permet de partir sur un filet de gaz. La régularité de ce moteur est immédiatement perceptible.

Avec le grand guidon, la machine est maniable, bien campée sur ses 2 roues de 19 pouces. L’assise de selle est basse avec les repose-pieds en avant, la position est relax.

Le tambour arrière est précis et puissant, mais votre pied gauche mal entraîné ne dose pas bien, pas grave me direz-vous car il y a un disque … qui répond si vous avez de la poigne ! Rapidement, la Trident vous fait comprendre que la ville n’est pas son élément . Sortons donc !

Quel moteur !

Avec sa boîte 4, le Trident fait des vocalises à l’envi. Souple, élastique, hyper disponible (bien plus « plein » encore que les Triumph modernes) puissant , ce moteur est une réussite. Son accélération est longue, constante, sans violence, elle vous tire les bras sans que rien ne semble l’arrêter. A 3500, le rythme change, le son s’éclaircit. Vous changez de vitesse, et ça recommence jusqu’à plus de 7000,  la voix de l’Anglaise prend des sonorités de V12 Ferrari et vous emplit les oreilles !  Cherchez les routes encaissées et viroleuses !

Franchement, on ne peut que comprendre la déception des fans d’Anglaises de voir disparaitre quelques années plus tard cet instrument de musique aux sensations incomparables. Quelle force, quelle présence !

Côté partie-cycle, tant que la sortie est une balade, la T150 est une agréable compagne. Quand l’avant est passé, tout suit tranquillement. Aujourd’hui machine de collection, elle mérite le respect et s’en accomode bien. Il faut être fluide et coulé, mais ça va assez vite en toute quiétude. Les commandes sont un peu dures, la machine un peu massive, et l’inversion des commandes requiert une sur-concentration : c’est une saine fatigue à l’arrivée. Une bien belle promenade avec une incroyable bande son !

Par contre, à sa sortie, malmenée, conduite de manière plus brutale, elle est sans doute passée pour archaïque. Son cadre simple berceau n’étant pas super rigide, et les premières versions à tambour  sans doute un peu dépassées…

Des podiums et des victoires !

Malgré ces déboires commerciaux, le potentiel de la Trident est certain ! Pour preuve, le moteur 3 cylindres  s'est largement illustré en compétition aussi bien sous la marque Triumph que pour la cousine BSA.

Dès 1969, Roger Beaumont remporte, sur une Trident quasiment d'origine, l'épreuve d'Ontario aux USA.

En 1970, Malcolm Uphill termine premier au TT. Un cadre conçu par Rob North fut spécialement construit pour abriter le 3 pattes. Et l'ingénieur Doug Hele portait la puissance à plus de 70 chevaux. La firme vint donc courir à Daytona pour affirmer sa présence sur le continent US, son plus gros marché. Même Mike Hailwood, sorti de sa récente retraite, fut mis à contribution et pilote un des 3 cylindres badgé BSA. Malheureusement, les machines abandonnèrent et Dick Mann l'emporta sur la CB 750 ! Gene Romero finissait néanmoins second des 200 miles avec une Triumph et Don Castro troisième sur une BSA.

La Honda CB 750, ayant remporté le Bol d'or 69, le groupe NVT décide d'investir cette épreuve. Les deux machines engagées étaient assez proches de l'origine pour promouvoir la machine de série : un petit carénage, un gros réservoir et un gros frein à tambour devant ! Même en conservant ses silencieux d'origine, la Trident était performante avec une vitesse affolante de 226 km/h enregistrée sur l'anneau de Montlhéry  ! Laissant la course se décanter, l'équipage Smart-Dickie remporta l'épreuve avec une machine très proche de la série !  Consécration !

En 1971, sous l'étiquette BSA, le 3 cylindres piloté par Dick Mann remportait les 200 Miles de Daytona ! Puis le match Anglo Américain consacra les Triumph et leur célèbre carénage "letter box" avec une entrée d'air rectangulaire sous le numéro de course pour  alimenter en air frais un radiateur d'huile supplémentaire ! Au Tourist Trophy : 2 victoires dans 2 catégories différentes !

Enfin, au Bol d'Or, 3 machines furent engagées par l'usine : deux Triumph dont une avec l'équipage Français Chevallier-Debrock, et une BSA. L'équipage Percy Tait-Pickrell, retardé par un bris de chaîne (et retour à la poussette) batit et rebatit le record du tour pour prendre la tête de l'épreuve, à six heures de l'arrivée, et gagna avec 7 tours d'avance sur le nouveau circuit Bugatti où l'épreuve se déroulait pour la première fois !

Malheureusement, l'usine faisant faillite, il en était fini de l'engagement officiel fin octobre 71.

Malgré cela, aux mains de pilotes privés, en courses de production (ancêtre des Superbikes) de 200 Miles, on ne compte plus les victoires des Triumph et BSA 3 cylindres les années suivantes. Une preuve que ce moteur avait un réel potentiel !

 

Une fin devenue historique

La T150 a vécu, et en 75, apparaît une nouvelle version : la T 160 ! Malgré 200 modifications et améliorations, la Trident ne parvient pas à rétablir une place correcte sur le marché car, même si elle est la meilleure de toutes les Trident, elle arrive trop tard ! Sans oublier que ses concurrentes coûtent bien moins chères ! En outre, l'annonce de la faillite et les incertitudes planant sur la marque, les acheteurs ne sont plus guère enthousiastes, et puis la mode est aux Japonaises ! Avec l’arrêt de sa production c’est la moto Anglaise qui disparaît en Aout 1976… pour revenir plus tard sous l’impulsion de John Bloor qui fait renaître Triumph et… le modèle Trident ! Les belles histoires n’ont pas de fin ! Surtout quand la bande son du film est aussi exceptionnelle.

Les plus
  • Sonorité !
  • Agrément moteur
  • Valeur historique
Les moins
  • Mécanique complexe
  • Nécessite une vraie connaissance
Équipement
Vidéo: