Si la lignée des gros trails est à la mode, leur naissance remonte aux années 80, quand le trail monocylindre était déjà le type de moto le plus vendu du marché . Pour faire mieux, plus loin, plus vite, les constructeurs sont passé du monocylindre au bicylindre ... BMW avait ouvert la voie en 1981 avec la 80G/S , puis Honda a présenté un modèle ultra spectaculaire au salon de la moto de Paris en Octobre 82 : la XLV 750 R ! Présentée en France ( qui vivait à fond les années Paris Dakar ) avec une décoration bleu blanc rouge bien cocardière et surtout son moteur intégralement rouge ( comme les moyeux de roues ), la XLV 750 R a saisi tout les spectateurs ! Au-delà de cette surprise visuelle, le concept présenté par Honda était diablement novateur, même précurseur de ce que sont les gros trails aujourd’hui ! Bicylindre, refroidissement par huile, cadre en tubes carrés, démarreur électrique, frein à disque, les trails entraient avec l'XLV dans une nouvelle ère technologique ! La XLV, l’initiatrice injustement oubliée !

Un trail hautes performances

Si les années 60 et 70 ont vu le développement de l’offre en machines sportives et routières, les années 80 ont été marquées par l’explosion des trails. Le Paris Dakar, l’image de l’aventure, la polyvalence route -chemins, et des assurances moins chères avaient en effet boosté les ventes des 125 puis, plus tard, des monos comme la 500 XT ou les 600 XLR et 600 Ténéré. En 1985, sur les 10 modèles les plus commercialisés, toutes marques confondues, 7 sont des trails.

Mais en ces temps la norme pour un trail ( comme par exemple la reine 500 XT ) c'est environ 30 chevaux et une vitesse de pointe d'environ 140 km/h, un peu léger pour partir loin en duo avec des bagages... surtout avec des freins à tambour. Ce constat commence à faire réfléchir les constructeurs . L'augmentation des performances passe obligatoirement par un accroissement de cylindrée, mais un mono supérieur à 650 pose des problèmes  de souplesse et de fiablité ( le record appartiendra plus tard  à Suzuki avec la DR 800 ) . BMW le premier vient au bicylindre avec la 80 GS, mais le look et la définition du modèle avec son large bicylindre à plat, ne sautent pourtant pas aux yeux des utilisateurs de trails comme étant une alternative. En outre son prix est, comme d’habitude, très élevé. Avec le Paris Dakar, la France est pourtant à la pointe de ce type de modèles , et le pays est sensible à l’image d’aventure au long cours. Honda France va donc expressément demander au Japon de créer un modèle répondant à ce nouveau créneau

C’est donc avec la XLV que la réponse arrive, avec une machine repensée pour aller loin avec un niveau de performances réellement supérieur ! On s'éloigne du petit mono 500 simple, bas, de 140 kg.... 

Lorsqu’elle est dévoilée, avec plus de 60 chevaux, un bicylindre 750, un cardan pour réduire l’entretien, un démarreur électrique ( les monos ont un kick ), un frein à disque , des suspensions à grand débattement avec le tout nouveau système Prolink à l’arrière, la XLV crée un choc !  En outre , avec des couleurs HRC, elle s'affilie plutot à une machine racing, histoire de souligner son potentiel sportif !  Son moteur rouge vient directement rappeler les Elsinore et CR de moto cross de la marque ! Même son étrier et son disque de frein ou sa cartouche de filtre à huile sont  rouges !  C'est le sang de la branche sportive de Honda qui coule dans ses veines . Au salon de Paris elle est même équipée de pneus cross !  Elle est résolument « méchante ».

L'esprit du Dakar sur le goudron hexagonal

Courant 82, Honda Japon valide l’élaboration d’un prototype et c’est au centre Honda Recherche Europe d’Offenbach situé en Allemagne Fédérale, que sous la responsabilité de Monsieur Senba  le projet voit le jour.

Visant essentiellement le marché Français le projet est poussé par  Honda France qui élabore le cahier des charges. Objectifs multiples : clientèle voyageuse, âgée de 25 à 45 ans, et surtout fiabilité maximale et entretien réduit pour une utilisation en terrains «hostiles» .

Pour motoriser cette machine, Honda se penche sur plusieurs solutions, mais c’est le nouveau V2 compact à 45 ° qui va réunir tous les paramètres. Ce moteur va d’ailleurs engendrer toute une lignée de fameuses machines ! 

Compacité, courbe de couple étendue, puissance facilement accessible, le moteur de la XLV dérive de celui du custom VT 750 C commercialisé aux Etats-Unis. L’angle réduit à 45 degrés, lié à un vilebrequin ultra élaboré, va permettre de se passer d’arbre d’équilibrage sans subir de vibrations néfastes ! Autre atout dans l’objectif de maintenance réduite, cette génération de moteur emploie un système inédit de rattrapage hydraulique du jeu aux soupapes. Des tendeurs automatiques de chaîne de distribution et une transmission par arbre sont aussi au programme. Enfin, le refroidissement liquide du VT est remplacé par un refroidissement à air - huile (diminution importante du poids). Trois soupapes par cylindre apportent couple et puissance, enfin un allumage à deux bougies par cylindre doit aider à digérer n’importe quelle essence même de mauvaise qualité.

Le châssis fait aussi l’objet d’un travail axé sur la robustesse avec des tubes acier carrés, plus faciles à ressouder au fin fond de l’Afrique ! En outre, il contient l’huile du moteur !

Si la fourche est classique, la suspension arrière monoshock Prolink utilise un amortisseur gonflable. Un disque à l’avant et un modeste tambour à l’arrière parachèvent le tableau.

Quelques détails soulignent encore la destination Africaine de la XLV : le filtre à air haut perché, avec une trappe sur le dessus du réservoir (que l'on retrouvera plus tard sur le proto NXR du Dakar !!)  ou encore le porte-paquet en tubes carrés intégré au dessin du châssis !  On remarque aussi la ligne d’échappement relevé, avec ses inédits silencieux en hauteur de manière symétrique et l'énorme sabot moteur en alu qui abrite le radiateur d'huile niché dans le flux d'air de la roue avant pour maxiiser le refroidissement.

Puis, ça et là, le regard s'arrète :  les platines de repose-pieds passagers ultra solides, la petite trousse à outils intelligemment logée sous le porte-paquet dans une boîte fermant à clé, le phare à iode, la boîte à fusible ultra accessible aux côtés du Neiman,etc ...la XLV est réfléchie dans ses moindres détails, et ca se voit. 

Au printemps suivant, dès les premiers essais de la presse spécialisée, le jeu est simple, emmener la XLV le plus loin possible ! La presse est positive, même si l'évolution de la catégorie trail fait parler ...plus haute, plus volumineuse, plus encombrante, plus rapide ...est ce toujours un trail ? 

Depuis le proto de Paris, des écopes de refroidissement sont apparues de part et d’autre sous le gros réservoir. La température du  cylindre étant parfois préoccupante.  De même, la carburation de quelques modèles  sera capricieuse. Mais, rapidement, une épidémie lubrification touche les premières XLV. Honda France et les concessionnaires interviennent rapidement (enfin rapidement, c’est vite dit avec un moteur tellement bien intégré dans le châssis qu’on se demande comment il peut sortir du cadre !), mais le mal est fait. La XLV « coloris pompier » ne se vend pas bien !  Pourtant, c’est une très bonne machine, qui plus est à la base d’une vaste généalogie !  Que donne-t’elle 30 ans plus tard ?

Etait ce un monstre ou une pionnière ?

La qualité Honda saute aux yeux sur ce modèle vieux de 1983. Commodos en parfait état, instrumentation standard (commune aux XLR etc …) clé accessible, starter au guidon, et démarreur à l’action immédiate.

Le V2 se réveille dans un rythme saccadé très régulier. Un petit coup de gaz, peu d’inertie.

Si elle semblait monstrueuse alors, la XLV est plutôt basse de selle et facile à prendre en mains.

Clong, la première est enclenchée bruyamment. Embrayage doux et gaz précis, la machine décolle en souplesse et ne tarde pas à révéler son potentiel.

Le moteur rouge envoie encore très fort ! souple, élastique, cette génération de moterus 3 soupapes est extrèmement réussie. Vivacité quasi racing apres 6000, zone rouge à quasiment 8000, le 750 vous permet aussi bien de jouer les énervés que d'enrouler entre 3 et 4000 en totue décontraction . Plein , il reprend en 5ème sur le régime du ralenti comme si la moto était automatique . A 3500 tr/mn à 80 km/ h on ne l'entend meme pas.

Par contre, ce que l'on remarque ( pas en bien) c'est al transmission . Le cardan old school vous soulève à l'accélération, et engendre des dribbles de la roue arrière en cas de rétrogradage musclé au freinage .... surtout que la boîte est lente (il faut vraiment bien décomposer) mais parfaitement étagée. Au rythme du grondement joyeux de son moteur V2, la XLV emmène rapidement son équipage à un solide 150 compteur. En pointe, on tutoie les 170 compteur, pas mal !!! Seul bémol, le freinage n’est plus à la hauteur du trafic actuel si l’on roule vite en duo et/ou chargé. Il faut prévoir que le simple disque avant mord gentiment mais surtout que le tambour arrière date franchement !

Mais le potentiel de grande voyageuse est là, on imagine qu’à 120-130 on peut affronter de longs périples bien plus facilement qu’avec les 600 monos qui étaient déjà presqu'à fond à ces vitesses là  

En tout cas, tous les ingrédients des maxi trails actuels sont déjà présents dans la XLV : force moteur, équipement, conception affinée selon les critères d'usage ...cette moto  mal reconnue a bien balisé le chemin pour les suivantes de la catégorie ! 

Un vrai trail !

Pour peu que vous n’ayez crainte de cabosser le superbe réservoir, la XLV avec de bons pneus mixtes est très à l’aise en tout terrain ! Bien plus que n’importe quel maxi trail moderne ! Son poids bien placé, la dosabilité de son moteur facilitent les évolutions off road.

Le couple bien réparti du V2 permet d’évoluer très précisément, et l’allonge du moteur offre de belles glisses si vous vous sentez  l’âme d’un pilote. Plutôt facile en fait ! L'élasticité moteur est un atout, merci le V2 à 45 °. Les suspensions ne tolèrent pas de sauts de motocross et c’est bien normal, mais les chemins creux de la France profonde sont accessibles sans aucun problème. Les freins un peu tendres sur route à rythme soutenu sont ici parfaitement utilisables. Un vrai trail, qui n’a pas encore basculé du seul côté routier !  Et la XLV fait montre d'une polyvalence que cette famille a perdu aujourd’hui .

Car, finalement, en ayant de plus en plus privilégié l'utilisation routière, les trails multicylindres actuels ont même des jantes à bâtons et des pneus de route ! Dommage car la XLV offrait un bel équilibre général entre terre et asphalte ! Mais de sur, on comprend mieux que dès son apparition elle va guider la lignée des Africa Twin des années 90 ( essayée ici par La Moto Classic )  jusqu'à celles d'aujourd'hui : douceur, facilité, performances, polyvalence et réelle complémentarité terre - bitume  ! 

Une initiatrice oubliée

Au total, la XLV a marqué une évolution importante dans la catégorie trail . Elle n’a pas perdu son potentiel TT, tout en ouvrant largement les horizons. La première version dotée d'une esthétique que peu ont osé suivre, avait déjà nombre d'atouts. Heureusement, la deuxième version, à la carburation corrigée et au look plus sobre va corriger le tir, mais Honda a bien compris et déjà d’autres maxi trails à V2 vont faire leur arrivée . Historiquement c'est elle la pionnière du genre avec la BMW R80G/S.....amusant de voir ces 2 familles toujours en tête des ventes de la catégorie presque 40 ans plus tard ... Une sacrée grand mère à qui l'Africa Twin actuelle peut dire merci !!

Les plus
  • Rareté de la première version
  • Intéret historique
  • Potentiel général
  • Motorisation réussie
Les moins
  • Rarement complète et en bon état
  • Transmission
  • Frein arrière à tambour
Équipement
  • Compteur-compte-tours
  • Démarreur électrique
  • Porte-paquet intégré au châssis
Vidéo: