Rarement changement aussi radical n'avait été proposé : une moto de série sans fourche ! Une GT moderne, un moteur 5 soupapes à injection, et surtout un châssis novateur et un train avant totalement inédit. Nous sommes en 1992, la Yamaha GTS 1000 était une promesse d'avenir technologique sans précédent, mais...

Bonjour docteur Parker

James Parker. Cet ingénieur en mécanique a longtemps travaillé sur la conception de motos sans fourche. Un train avant triangulé séparant les fonctions de guidage et d'absorbtion des chocs semblait être la voie à suivre (lire encadré latéral).

Parker a réussi à convaincre Yamaha de lui prêter une FZ 750 pour démontrer le bien fondé de ses théories. Il sort un proto nommé RAAD (Rationally Advanced Design Development) au look de soucoupe volante pour l’époque. De son côté, Yamaha prépare les esprits avec 2 protos sur des salons de Tokyo (Morpho 1 et 2), des engins futuristes en diable, trop. 

Et pourtant, c'est ainsi que la GTS 1000 est née. La GTS doit être un engin à part, le segment visé est celui du motard voyageur, à priori d’âge mur : la technologie devrait être un atout. Dessinée comme une sport GT, sur un segment où les Honda VFR, les BMW et quelques autres régnaient, la GTS allait tout miser sur son châssis novateur et l'absence de fourche pour séduire.

La pièce maîtresse de la moto présentée en 1992 est évidemment son monobras avant assorti d’un cadre de type Omega pour effectuer la liaison entre les bras oscillants avant et arrière. Ce type de châssis apporte une largeur contenue, une grande rigidité et un centre de gravité bas puisque les poutres entourent le moteur. La disposition permet même de loger le filtre à air à l’avant et le réservoir d’essence au centre de la moto au bénéfice de la stabilité et du recentrage des masses. Que du bon !

Freinage central avec étrier 6 pistons

Avec ce train avant inédit, on trouve aussi un freinage particulier : un énorme disque central de 320 mm (au centre de la roue avant) épais, ventilé, et pincé par un étrier Tokico à six pistons. L'arrière est plus classique avec un disque de 267 mm muni d'un étrier à deux pistons. Un ABS est également disponible en option mais il sera de série sur les versions ultérieures.

Le moteur Genesis 5 soupapes est un 4-cylindres en ligne dérivé de la FZR 1000 qui reçoit une injection EFI. Résultat : 102 ch à 9 000 tr/min et 10 mkg de couple. Plus de valve EXUP mais un catalyseur et une sonde Lambda ! Autre preuve de son niveau technologique avancé, la GTS est dotée d’une aérodynamique travaillée pour la tenue de cap à haute vitesse, avec des rétroviseurs carénés et des clignos intégrés en forme de mini spoilers.

Son large phare à double faisceau, un feu rouge arrière intégré, et un échappement ultra silencieux soulignent les efforts généraux de conception. Les propriétaires avaient le choix entre 2 hauteurs de bulle. En option, il était possible d'équiper la GTS de deux valises latérales (de 34 ou 46 litres) fabriquées par le manufacturier allemand Krauser et disposant d’un système de fixation tout intégré superbement novateur lui aussi (2 rails, une charnière et hop !)

Personne ne tique alors sur le pneu avant de 130 mm de large…

De la psychologie du lancement

Les ELF roulaient en compétition, d'abord en endurance puis en GP 500, en 1990, Bimota avait présenté la TESI 1 D, mais aucun "grand" constructeur n’avait franchi le pas. Yamaha serait donc le premier à oser ! Inutile de décrire les mines surprises et dubitatives des motards sportifs qui ne voyaient pas l’intérêt de cette direction. Si aucune moto de compétition (hormis la ELF) n’utilisait ce type de train avant, à quoi bon ?

La presse est conviée à des essais au Maroc.  Et là, c’est un drame. Sur ces routes poussiéreuses et mal goudronnées, les journalistes trouvent le train avant lourd, la moto pataude. Le train avant ne peut guère démontrer sa stabilité, le lancement est à priori plutôt raté. Les articles sont mauvais…

Avant même que la GTS 1000 arrive en concession, ses théories de conception pour un train avant révolutionnaire sont mises à mal. Du coup, avant même de l'avoir essayée, les acheteurs potentiels sont négatifs sur la révolution promise.

Un train avant pesant

S’asseoir sur la GTS est aisé. Selle basse et creusée, carénage enveloppant, un superbe ensemble d’instruments avec jauge à essence et… 2 bracelets ! Arrêt immédiat : les bracelets ne sont pas sur notre moto d’essai qui a reçu un kit guidon haut assez rare dont on verra l’effet plus tard.

Deux trappes sur le dessus du réservoir, une pour l’essence, l’autre fermant à clé pour des affaires (bip, trousseau de clés, portefeuille...).

Contact mis, on entend brièvement la pompe à essence alimenter l’injection et le moteur démarre instantanément avec un starter automatique pas si fréquent au début des années 90. La GTS est vraiment en avance !

Dès les premiers mètres, on comprend tout. Oui, la GTS est pesante. Une punition en ville avec les bracelets et le pneu avant d’origine. L’appui sur les poignets est contraignant surtout qu’il faut forcer. Une moto qu’on emmène avec le corps, qui pèse dans vos bras à l’angle de la petite rue que vous visez… L’amortisseur avant pourtant bourré de réglages semble trop mou et tape sur chaque "gendarme couché" de nos villes modernes. Dommage.

Dommage, car dès que l’on ouvre les gaz, tout change. Le moteur est super rempli - par opposition il semble même fade à hauts régimes -, élastique et disponible. Les 5 soupapes et l’injection donnent une courbe d’exploitation ultra étendue.

Le freinage est royal. L’avant est ultra puissant, l’arrière aussi car avec ce train avant la GTS ne plonge que très peu sur les freinages appuyés, du coup on y va tard… et gaiement !

Pour l’instant, le moteur est bon, mais cette révolution ne séduit pas, et on comprend que ceux qui cherchaient une sport GT à bracelets se tournaient tous vers une Honda VFR…

Alors, ratée cette moto ?

A peu de choses près ...

Notre machine dispose de 2 aménagements : un kit té supérieur avec un guidon plat, et un pneu avant de 120 mm. Avec ces ingrédients, la GTS change pas mal ! Le buste plus relevé et le bras de levier plus large économisent le pilote. Le pneu avant plus fin (et attention au choix du profil, il y a là aussi beaucoup de changements de comportement) allège aussi la direction. Ces 2 modifications changent fondamentalement la moto.

Du coup, la GTS vous fait enfin profiter de ses atouts. Un moteur disponible, un freinage d’enfer, la possibilité d’entrer dans n’importe quelle courbe avec de la vitesse et un feeling incroyablement rassurant du train avant.

Et un jour, vous aurez peut-être un long trajet à faire. La GTS ne fera soudain plus du tout son âge, et vous apprécierez la stabilité impériale de son châssis (même par très grand vent elle ne bouge jamais, c’est bluffant). On profite alors de l’allonge de son moteur, de la qualité de ses freins (quelle puissance le 6 pistons à l’avant !), de ses valises hyper bien intégrées à la fabrication sérieuse, et de sa fiabilité.

Traverser l’Europe sous la pluie, le vent, sans contraintes de limitation de vitesse vous donnerait de la GTS un tout autre feeling que de l’essayer en ville entre 200 voitures arrêtées dans un embouteillage !

Un cas resté unique

Il manquait peu de choses. Mais assez pour que la sauce ne prenne pas. Malgré de belles aptitudes à voyager, une débauche technologique (train avant, cadre Omega, injection ABS, bagagerie intégrée, la GTS ne connaîtra finalement qu'un succès d'estime. Le poids en manœuvres, un prix élevé, un giga rayon de braquage, une position en appui sur les poignets sont des handicaps de taille pour un système novateur pas assez supérieur à une bonne vieille fourche. Pour une Grand Tourisme luxueuse, certains vont aussi condamner l’absence de cardan. Dommage, le moteur et le freinage étaient très en avance eux, le tout avec une grande robustesse ! Moralité, en 1996, Yamaha retire la GTS de son catalogue, mais écoule ses stocks en Europe jusqu'en 1998 et au Japon jusqu'en 1999. 10 300 GTS ont été fabriquées. En tout cas, Parker n’aura revendue son invention à personne d’autre et on ne reverra jamais de moto de série avec un monobras à l’avant…

Les plus
  • Rareté
  • Curiosité technique
  • Agrément moteur
  • Incroyable stabilité
  • Freinage
Les moins
  • Lourde à balancer
  • Rayon de braquage
Équipement
  • ABS
  • Kit sacoches origine
  • Monobras avant
Coloris dispos

Trois couleurs étaient disponibles au lancement : vert foncé, bleu métallisé, ainsi que rouge sombre de 1993 à 1997. Une version bicolore noir et rouge sera diffusée entre 1998 et 1999.