Alors que la marque Royal Enfield entre dans une nouvelle ère avec la présentation d’une nouvelle plateforme basée sur un bicylindre de 650 cm3, voici l’occasion rêvée de se pencher sur son passé : car l’Interceptor a aussi existé de 1960 à 1970, d’abord en 700 puis en 750. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Royal Enfield reste fidèle à son histoire et à ses fondamentaux.

Que ce soit dans la philosophie, dans la technique (bicylindre en ligne refroidi par air), dans l’allure générale et dans la forme des carters, la Royal Enfield Interceptor de 2019 est un bel hommage à la Royal Enfield Interceptor des années 60.

Mono ou twin ?

Quelle est la plus belle incarnation de la motocyclette britannique ? Deux écoles s’affrontent : ceux qui pensent que c’est le monocylindre, façon Velocette Thruxton, d’autres qui ne jurent que par les fameux vertical twin, BSA A7, Norton Commando, Triumph Bonneville… 

Si la marque Royal Enfield est surtout connue pour ses Bullet monocylindres, elle s’est aussi installée sur le territoire des bicylindres en ligne, dans les années 50 et 60. Si ses productions ont moins marqué les esprits, voire qu’elles ont même été un peu oubliées, elles sont toutefois dignes d’intérêt.

Expansion en Inde et résistance anglaise !

C’est dans la seconde partie des années 50 que la production des Bullet va progressivement se délocaliser en Inde. Le déjà vieux mono est de moins en moins concurrentiel et son aspect placide convient très bien à l’armée indienne qui a de gros besoins de mobilité pour surveiller ses frontières, notamment vers le Pakistan. 

Parallèlement, si le monocylindre ne connaîtra plus guerre de développement, Royal Enfield s’engage dans la voie du twin. Cela commence en 1948 avec la 500 Twin, qui ressemble globalement beaucoup à une Bullet et qui résulte de l’accouplement de deux monocylindres de 250 cm3 conçus avant la guerre et qui développe alors 25 chevaux. Assez basique, cette moto complétée par la Meteor 700 (34 chevaux, 1 seul carbu) en 1952 puis la Meteor Minor (500) en 1958. La Meteor 700 devint Super Meteor (40 chevaux, toujours un seul carbu) en 1956 et de cette moto fut dérivée un modèle plus sportif, la Constellation (1958), avec son moteur poussé à 51,5 chevaux ; hélas, avec ce modèle, Royal Enfield était au bout du développement de ce bloc moteur et la Constellation fut surtout entachée d’une forte réputation de non fiabilité ! Certains lui ont même donné un surnom peu flatteur : « oilfield » (champ d’huile !).

L’arrivée des Interceptor

Disons le tout de go : l’Interceptor, c’est l’apogée du twin Royal Enfield. En résolvant les problèmes mécaniques de la Constellation, Royal Enfield relance la machine et en profite pour faire changer de nom ses motos : l’Interceptor apparaît en 1960, d’abord en 700, puis devient 750 en 1962. 

La première Interceptor était d’abord vendue uniquement aux USA et au Canada. Par rapport à la Constellation, elle possédait un double carburateur, des arbres à cames plus pointus et une magnéto Lucas. Selon les sources, entre 158 et 170 Interceptor 700 ont été fabriquées. 

L’Interceptor 750 arrive donc en 1962 : elle possède un tout nouveau moteur, un bicylindre de 736 cm3 (71 x 93 mm) et Royal Enfield a soigné son produit, avec des carters moteurs plus solides, un vilebrequin équilibré au poil ; ceux qui l’ont essayé disent que c’est l’un des Twins anglais parmi les plus soyeux et souples qui ait jamais été construit ! La Série 1 a été produite de 1962 à 1966. 

La Série 1A la remplace en 1967 : la plus grande modification tient dans les bobines d’allumage qui remplacent la magnéto. Les modèles destinés au marché américain reçurent un nouvel habillage : réservoir chromé, selle, guidon, garde-boue et compteurs étaient différents de ceux du modèle anglais. L’Interceptor 1A recevait deux carburateurs Amal. 

La Série 2 était encore plus fiable, avec un moteur largement repensé, notamment par l’apparition d’un carter humide qui permettait de mieux lubrifier le vilebrequin, grâce à une nouvelle pompe à huile. La Série 2 possédait aussi une fourche et une frein avant d’origine Norton. Avec ses 55 chevaux, elle approchait les 180 km/h et son couple impressionnant lui donnait de belles accélérations à mi-régime. La production cessa en 1970, mais nombre de ces moteurs ont ensuite été utilisés dans des productions spéciales, telles que les Rickman Interceptor et les Enfield Clymer.

Un prototype d’Interceptor 800 (avec un moteur dont l’alésage porté à 73 mm donnait une cylindrée de 778 cm3) n’a jamais pû passer le stade de la production, l’usine ayant fermé les portes entre temps.

L’usine coule, l’esprit perdure (un peu)

Pour Royal Enfield, les années 60 sont terribles. L’usine stoppe la production des Bullet monocylindre en 1962 : leur destin devient désormais indien et on est alors loin de se douter que dans la décennie 2010, Royal Enfield deviendra le plus grand succès de la planète moto avec une production multipliée par 20 (!), de nouvelles usines, un centre de R&D en Angleterre, le rachat des cadres Harris, la multiplication des plateformes (Himalayan et ces nouvelles 650). Le destin est farceur, parfois !

Toujours est-il que dès 1965, Royal Enfield connaît de grosses difficultés financières. Les motos se vendent mal et en 1967, la marque est reprise par le groupe Norton-Villiers (qui rachètera plus tard, en 1974, BSA, qui possédait alors Triumph…). Bref : Norton-Villiers va être le fossoyeur de l’industrie motocycliste britannique, certes attaquée de toutes parts, en interne par un contexte social complexe sur fond d’outil industriel périmé et de grèves à répétition, et en externe par cette satanée Honda CB 750, tête de proue de l’invasion japonaise. Bref, entre vente à la découpe de l’appareil industriel et absence totale de stratégie, Royal Enfield ne pouvait que disparaître… 

Entre temps, quelques tentatives de survie n’ont pas fait long feu : ce fut le cas en 1968 quand Floyd Clymer, le distributeur américain de Royal Enfield installa quelques moteurs d’interceptor dans des cadres de sa conception et les vendit sous le nom d’Indian (dont il possédait les droits) Interceptor. Quelques dizaines furent écoulées avant son décès en janvier 1970 ; de même, Rickman produisit environ 130 Metisse Interceptor, en ayant récupéré des blocs moteur, entre avril 1970 et janvier 1972. 

Mais l’industrie de la moto a ceci de supérieur aux autres que les marques ne disparaissent jamais réellement : après quasiment cinq décennies de purgatoire en Inde à produire des Bullet aussi charmantes que dépassées techniquement, telle le phénix, la marque nous présente bientôt cette nouvelle 650 Interceptor. 

Avec son bicylindre de 648 cm3 (pas longue course, hélas : c’est du 78 x 67,8 mm), développant 47 chevaux à 7100 tr/mn et 52 Nm à 5250 tr/mn, et un poids contenu à 203 kilos à sec, des petits pneus (100/90 x 18 devant, 130/70 x 18 derrière), va t’elle reprendre l’esprit et surtout les sensations de sa génitrice ? Encore un peu de suspense avant d’en avoir le coeur net…